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Dominique Motte

Dernière mise à jour : 22 sept. 2023


Dans mon nouveau spectacle de conte, sur quatre histoires, il y en a une au début de laquelle un enfant est abandonné parce que soupçonné d’avoir la peste, une autre dans laquelle une petite fille est assassinée par ses tantes, et une où un père veut tuer son fils. Et quand bien même ces histoires finissent-elles bien (aucun innocent ne meure), je me suis quand même posé la question de savoir si ce n’était pas un peu trop. En y réfléchissant, je me suis rendu compte que le plus souvent les contes merveilleux commencent par un trauma majeur : le Petit Poucet, que ses parents veulent abandonner dans une forêt avec ses frères, La Belle au Bois Dormant, qui se voit victime d’une malédiction, Cendrillon transformée en esclave, la petite fille de Dame Holle elle aussi maltraitée, Raiponce emprisonnée dans une tour, et j’en passe… Pourtant toutes ces histoires « se terminent bien ». Entendons par là que les méchants vivent, cruellement souvent, les conséquences de leurs actes et que nos malheureuses victimes du début trouvent l’accomplissement après avoir triomphé de bien des obstacles. Les psys de toutes obédiences et les enseignants spirituels l’ont maintes fois formulé : il faut passer par l’Ombre pour trouver la lumière. Longtemps on a vu dans cette allégation une prescription mortifère, lourde de péchés divers et de contritions en tout genre. Dans les faits, une autre vérité sans doute plus juste est à formuler : il nous faut connaître, traverser et nous nettoyer de notre Ombre, si nous voulons faire de la place à la lumière. C’est un travail psychique, psycho-corporel et spirituel qui est peut-être le propre de l’expérience humaine. Plus on nettoie son Ombre et plus la Conscience grandit, plus notre espace intérieur s’ouvre, plus notre Cœur vibre, moins nous sommes assujettis à nos conditionnements et à notre hérédité. Et c’est de cela précisément que parlent les contes dont il est question. Alors oui, on traverse parfois dans les contes le pire de l’expérience humaine, mais c’est ensuite pour mieux s’accomplir et trouver notre propre majesté intérieure. Il faut prendre garde toutefois que ce n’est pas parce que l’on parle ou que l’on montre l’Ombre que l’on s’en émancipe. Sous ce prétexte, une bonne part de la production culturelle contemporaine (cinéma, littérature, théâtre) s’illusionne et, pour ne pas dire : se fourvoie. Car montrer l’Ombre jusqu’à l’écœurement, sans proposer ce subtil chemin de résilience et d’ouverture, c’est se complaire encore et encore dans l’Ombre et la propager à l’infini. Pour reprendre une belle expression lue récemment dans le livre « Mère » de Laurent Huguelit : « comment parler du Mal sans faire le Mal ? ». J’aurais tendance à suggérer qu’il faut qu’il soit éclairé de l’intérieur par une lumière venue d’ailleurs et que quelques sas soient proposés et traversés. C’est un processus. Il n’y a pas de recettes toutes faites, mais il me semble que les grands contes contiennent quelques réponses : ne pas se dérober à l’épreuve, écouter ses voix intérieures, ne pas s’arrêter au doute parce qu’ancré dans la confiance, croire en la magie de la Vie et des destins, entretenir avec le Vivant une relation équilibrée basée sur une réciprocité respectueuse, savoir reconnaître et accepter l’aide quand elle se présente... Ce parcours est en réalité une transmutation plus qu’une évolution ; un chemin intérieur de la Conscience. C’est quand on est lucide sur la capacité de tout un chacun à faire le pire sans pour antant s’y résigner que commence le chemin. Dans le milieu du conte la question du choix de son répertoire par un conteur est très présente. On dit souvent, presque par boutade, que ce n’est pas le conteur qui choisit les histoires qu’il raconte, mais les contes qui le choisissent. Ce qui me paraît vraisemblable, c’est que le conteur choisit les histoires dont il a besoin pour son chemin intérieur. Chemin dont il témoigne ensuite, en racontant quelques histoires à la lumineuse clarté malgré des ouvertures souvent on ne peut plus sombres...



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